Le voyage, une passerelle pour aider les ados venant de milieux précaires à mieux s’ouvrir aux autres

8 minutes de lecture
Expert.e: Vickie Bois
Rédaction: Eva Milko, Good Vibes Strategy
Plusieurs jeunes en cercle avec les mains les unes par dessus les autres, tendues vers le centre.

« Dialogue et échange toujours, et tout de suite. Finalement, le dialogue et l’échange permettent, mieux que l’autorité et la discipline, mieux que la punition et la récompense, de socialiser l’enfant et de l’amener à cette discipline de vie que je viens d’évoquer, à l’estime de soi. »

– Michel Fize, Antimanuel de l’adolescence

Le dialogue, en tant que pilier fondamental de la communication humaine, joue un rôle essentiel dans le développement personnel des adolescents.es. Selon la psychoéducatrice Vickie Bois, les ados apprennent, à travers leurs relations avec les autres, à affirmer leurs besoins, à se connaitre, à développer leur estime de soi, leurs compétences et à s’investir dans des relations positivement réciproques.

Cependant, chez les jeunes issus.es de milieux défavorisés, le processus de dialogue peut être entravé par différents défis liés à leur statut socio-économique ainsi qu’à des problématiques psychologiques et familiales.

Voici quelques explications pour mieux comprendre pourquoi les jeunes de milieux précaires peuvent avoir plus de difficultés à communiquer, quel impact cela a-t-il sur eux.elles et comment le voyage peut les aider à nouer des relations sociales riches et authentiques tout en améliorant leur aptitude à dialoguer de manière saine.

Pourquoi les adolescents.es issus.es de milieux défavorisés ont plus de difficultés à dialoguer que leurs pairs plus aisés.es?

Alors que l’adolescence est un âge où les interactions sociales jouent un rôle essentiel, plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les ados de milieux précaires ont, en général, moins d’habiletés à dialoguer.

D’après Vickie Bois, la famille est le premier lieu de socialisation chez les jeunes. Les conditions familiales, y compris le niveau d’éducation des parents et le style de communication à la maison impactent donc fortement le développement des compétences sociales. Les jeunes qui ne seraient pas exposés.es à un climat de communication bienveillant dans leur milieu pourraient ainsi avoir du mal à s’exprimer de manière claire et élaborée.

En effet, Vickie Bois indique qu’il est prouvé que l’élaboration du discours et les habiletés d’expression se développent à travers une stimulation fréquente et une exposition prolongée à un climat harmonieux où la communication saine est présente.

Silhouette d'un groupe de personnes devant un coucher de soleil.

Ainsi, les difficultés socioéconomiques (insécurité financière, difficulté à accéder au logement et à la nourriture, emplois peu valorisants, discrimination), peuvent faire ressentir un stress intense aux parents de milieux défavorisés, ce qui impacte négativement la qualité des échanges au sein des familles

En outre, les familles de milieux précaires étant davantage sujettes aux difficultés psychologiques, aux addictions mais aussi aux conflits familiaux, on y remarque une plus forte présence de la violence dans les interactions. Or, pour un enfant, la peur suscitée par la violence peut entrainer une plus grande méfiance vis-à-vis des autres ainsi que la croyance que les relations sociales doivent s’exercer dans des rapports de domination.

Sans modèles positifs, certains ados venant de milieux précaires ont ainsi plus de mal à adopter des comportements constructifs et respectueux, entravant leur fonctionnement et leurs relations. En effet, la compétence sociale repose sur différentes habiletés : l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle, l’empathie et la résolution de problèmes interpersonnels.

62% sur un fond rose

Ces difficultés de communication peuvent parfois être renforcées par des pratiques parentales coercitives ou négligentes. Ainsi, il apparait que 62% des enfants signalés pour négligence proviennent de familles défavorisées. Or, la négligence engendrerait des lacunes dans l’apprentissage du contrôle de soi, une faible stimulation intellectuelle et des déficits dans l’apprentissage de plusieurs compétences sociales.

À l’inverse, une éducation trop autoritaire étouffe l’estime de soi des jeunes, limitant leur capacité à exprimer leurs émotions et leurs besoins. Selon Vickie Bois, ce manque d’espace sécuritaire pour s’exprimer entraîne un repli sur soi, des comportements inhibés et de l’anxiété. Ce refoulement émotionnel peut susciter de la méfiance envers l’autorité, entravant ainsi l’expression des émotions, la construction de l’identité et des compétences relationnelles.

On peut également souligner l’obstacle important que représente les difficultés des jeunes précaires à accéder à l’éducation et à la culture. En étant moins exposés.es que les autres à des idées et des points de vue variés, certains.es jeunes ont plus de difficultés à développer un vocabulaire riche, une capacité de réflexion critique et peuvent se sentir moins confiants.es et préparés.es à participer à des échanges élaborés.

Ce sentiment est d’autant plus renforcé que leurs conditions de vie précaires les poussent à développer des mécanismes d’adaptation tels que la réserve, la méfiance ou même la fermeture émotionnelle pour faire face à leurs défis, ce qui aggrave encore leurs difficultés à dialoguer.

Toutes ces problématiques entretiennent une perception négative d’eux.elles-mêmes, ce qui peut freiner leur envie de s’exprimer ou de participer activement à des discussions, craignant d’être jugés.es ou stigmatisés.es.  Ce phénomène est d’autant plus fort lorsque les ados font face à une barrière de la langue.

Comment le voyage peut-il aider les ados venant de milieux précaires à développer leurs compétences en communication?

Rien ne développe l’intelligence comme les voyages. » – Émile Zola

Loin de leur milieu d’origine où les adolescents.es évoluent parfois dans un environnement peu propice à la communication, le voyage peut constituer un espace neutre qui leur permet de s’ouvrir aux autres.

Ainsi, au gré des différentes découvertes que font les jeunes (nouvelle culture, visite de sites naturels etc), le voyage leur offre naturellement une occasion d’acquérir une vision plus élargie du monde grâce aux différentes réalités auxquelles ils.elles sont exposés.es.

Selon Vickie Bois, ces expériences stimulent leur curiosité, suscitent des questions, favorisent le dialogue des ados avec leurs pairs et les adultes, et contribuent au développement de leurs intérêts et goûts, partagés au sein du groupe.

À travers cette expérience, les jeunes développent des liens plus forts et authentiques avec les autres ados et leurs éducateurs et tendent à communiquer de façon plus constructive et respectueuse.

Ainsi, selon l’initiative « Hors les murs », menée par une équipe de psychoéducateurs.rices (dont Vickie Bois) et le CISSS de la Montérégie-Ouest auprès de jeunes en difficultés psychologiques de 14 à 17 ans, 50% des jeunes manifestaient moins de problèmes avec l’autorité et leurs relations avec les adultes étaient plus satisfaisantes (54%) à l’issue de leur voyage.  

D’autre part, lors de l’organisation d’un projet de voyage en Auberge de jeunesse, les adolescents.es sont amenés.es à collaborer et à interagir entre eux.elles. Grâce à cela, les ados apprennent à exposer leur point de vue de façon plus constructive, ce qui améliore leur capacité à gérer leurs émotions ainsi que leurs compétences en communication.

Jeune femme souriante, les bras croisée.

De plus, en participant activement à leur projet de voyage, en prenant des décisions et en surmontant les défis qui y sont liés, les ados apprennent à s’affirmer, prennent conscience de leur capacité d’agir et se montrent plus ouverts à communiquer.

En effet, le fait d’être impliqué dans le processus de planification du début jusqu’à la fin du voyage leur a permis de vivre une réelle réussite.

D’autre part, en menant un projet de voyage dans le cadre de l’école tout en échappant au système classique de récompenses et de punitions, certains.es jeunes peuvent se sentir libérés.es de la pression des adultes et avoir davantage envie de s’impliquer dans leur groupe de classe. Ce plus grand engagement vis-à-vis de leurs pairs à l’école facilite l’expression de leurs opinions et de leurs aspirations, tout en permettant à certains.es jeunes de se rapprocher du milieu scolaire.

Enfin, voyager constitue une occasion unique de construire des souvenirs positifs partagés avec les autres adolescents.es. Ces expériences deviennent des références, renforçant la connexion émotionnelle au sein de la classe et jetant les bases d’un dialogue pérenne, tout en suscitant l’espoir d’un avenir meilleur.

Selon Vickie Bois : « Une telle expérience positive de voyage chez les jeunes issus de milieux défavorisés permet, non seulement de développer leurs compétences sociales, mais d’ouvrir les horizons vers des relations plus saines et sécurisantes dans l’avenir. C’est un voyage à travers eux-mêmes où ils peuvent choisir de changer la direction de leur voile et ainsi, modifier leur trajectoire souvent houleuse depuis l’enfance. » 

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