« Le besoin d’amitié est capital pour l’adolescent, au point que l’on peut dire que c’est même ce qui lui permet de supporter un monde fermé et souvent hostile à son égard. […] Quand le besoin affectif n’est pas satisfait, l’adolescent ressent donc un sentiment d’abandon et de rejet. Comprendre, c’est déjà aimer, dit Bernanos. Mais aimer, c’est aussi comprendre. »
– Michel Fize, Antimanuel de l’adolescence
Le besoin d’affection et d’amour est une composante essentielle de l’expérience humaine, d’autant plus vitale pour les adolescents.es issus.es de milieux défavorisés qui font parfois face à la discrimination et au rejet de leurs pairs. Ainsi, selon la psychoéducatrice Vickie Bois, le fait de ne pas pouvoir correspondre aux standards imposés par la société comme porter des vêtements griffés, peut conduire à des situations d’intimidation ou à l’exclusion. Or, le besoin d’appartenance à l’adolescence est crucial.
Que ce soit sous forme d’amour familial, d’amitié ou de relations amoureuses, l’affection est à la base de la constitution de liens solides et nourrit le développement social et affectif des adolescents.es. Cependant, pour les jeunes issus.es de milieux précaires, ces liens peuvent parfois être entravés par des contraintes économiques, sociales et psychologiques.
Dans un monde hyperconnecté mais où les écarts sociaux se creusent, le voyage devient ainsi un puissant moyen de tisser des liens humains authentiques, exempts de discrimination.
Pourquoi les jeunes venant de milieux précaires ont plus de difficultés à développer des liens affectifs significatifs?
Plus nombreux.ses à grandir dans des familles monoparentales soumises à des difficultés financières, familiales, psychologiques et sociales, les jeunes venant de milieux défavorisés ont davantage de problématiques d’estime de soi, ce qui impacte négativement leurs relations sociales.
Parfois négligés.es par leurs parents en proie aux addictions et aux difficultés psychologiques, les ados issus.es de milieux défavorisés sont ainsi plus nombreux.ses à présenter des vulnérabilités (1 enfant sur 3) lors de leur entrée à l’école dans au moins une sphère de leur développement (compétences sociales, maturité affective, habiletés de communication etc). En effet, la recherche démontre que la majorité des jeunes avec des problèmes affectifs affichent aussi un trouble de la conduite ou un trouble d’opposition.
Vickie Bois indique ainsi que lorsque les figures d’attachement sont peu disponibles sur le plan affectif, les jeunes vivent un sentiment de ne pas être dignes d’être aimés.es et investis.es. De plus, face à l’absence de modèles sains, les ados développent parfois des difficultés à se projeter dans un avenir prometteur et peuvent ainsi perdre espoir et se désinvestir de l’école par manque de projet de vie.
Malheureusement, ajoute Vickie Bois, cet éloignement précoce de l’école isole davantage les jeunes issus.es de milieux défavorisés, les dirigeant vers des emplois précaires mal rémunérés. Cette situation les plonge dans des conditions de vie médiocres, particulièrement accentuées depuis la pandémie et l’augmentation du coût de la vie.
De plus, les ados venant de milieux précaires peuvent être plus sujets.es à la solitude vis-à-vis de leurs familles. Parfois poussés.es à quitter le domicile familial prématurément pour échapper à des conflits avec leurs parents, les ados se retrouvent ainsi coupés.es d’une source importante d’affection et peuvent sombrer dans les addictions, ce qui aggrave encore leurs difficultés émotionnelles et relationnelles.
Des études démontrent ainsi qu’environ la moitié des jeunes qui rapportent une consommation abusive de psychotropes manifestent aussi des problèmes d’antisocialité ou des problèmes émotionnels.
«La recherche démontre que la majorité des jeunes avec des problèmes affectifs affichent aussi un trouble de la conduite ou un trouble d’opposition. »
Pour d’autres ados, les faibles revenus de leur famille peuvent compliquer leurs relations sociales en limitant leurs sorties culturelles, leurs loisirs mais aussi leur engagement social à cause des dépenses qui y sont liées (transport, achat d’équipement etc.). Vickie Bois ajoute que ces jeunes étant peu impliqués.es dans les activités parascolaires ou sportives, ils.elles vivent moins de réussites comparativement à leurs pairs plus nantis.es et ont un plus faible sentiment d’appartenance à un groupe.
Au niveau des relations amoureuses, les ados précaires sont souvent plus en difficulté que leurs pairs plus aisés car ils.elles peuvent souffrir d’insécurité liée à des difficultés relationnelles avec leurs parents. En effet, les jeunes issus.es de milieux défavorisés vivent souvent des situations familiales conflictuelles avec des parents séparés et des mères isolées. Celles-ci, parfois sujettes à l’anxiété et au manque de soutien, ne sont pas toujours en mesure d’accueillir les émotions de leurs enfants et de leur donner le sentiment de sécurité dont ils.elles ont besoin pour s’épanouir affectivement.
Les adolescents.es peuvent ainsi être plus portés.es à vivre une sexualité précoce ou à fonder une famille très tôt pour tenter de se « soigner » de leurs difficultés familiales. Selon Vickie Bois, le manque de connaissance des ressources de contraception disponibles, peut également augmenter le nombre de grossesses non-planifiées chez ces adolescentes, ce qui contribue à augmenter leur stress et leurs difficultés psychosociales.
Comment le voyage peut-il aider les ados issus.es de milieux défavorisés à créer des liens d’affection authentiques avec les autres?
Le voyage, en offrant un environnement loin de leur cadre habituel, offre aux ados la possibilité de se connaître d’une manière plus approfondie en les amenant à réfléchir sur leur identité, leurs aspirations et leurs valeurs. Ce processus de découverte de soi est crucial pour leur développement affectif.
D’après Vickie Bois, l’expérience intense qu’offre le voyage est aussi une occasion pour les ados de partager des expériences avec leurs pairs et de développer des liens significatifs. Les jeunes ont ainsi la possibilité d’échanger sur leurs vécus et d’apprendre qu’ils.elles ne sont non seulement pas seuls.es à vivre des difficultés mais qu’il est aussi possible de s’entraider face à leurs défis.
Tous ces apprentissages participent à la construction de l’identité des jeunes et les aide à avoir une meilleure estime de soi ainsi qu’une plus grande compréhension de leurs besoins émotionnels.
Selon l’initiative « Hors les murs », menée par une équipe de psychoéducateurs.rices (dont Vickie Bois) et le CISSS de la Montérégie-Ouest auprès de jeunes en difficultés psychologiques de 14 à 17 ans, 71% des ados ont connu une augmentation de leur estime de soi et 57% une meilleure tolérance aux frustrations, suite à leur voyage humanitaire.
D’autre part, travailler sur un projet de voyage en classe permet aux ados issus.es de milieux précaires de développer leurs habiletés sociales et leur sentiment d’appartenance envers l’école. Ainsi, plongés.es dans un environnement inconnu en dehors de leur zone de confort, les jeunes doivent communiquer, résoudre des problèmes et collaborer avec les autres, ce qui leur permet d’acquérir de nouvelles compétences interpersonnelles et de créer des relations durables et équilibrées avec leurs pairs dans le cadre de l’école.
Lors de l’initiative « Hors les murs », plus de la moitié des parents (57%) indiquaient ainsi que sur le plan académique, les jeunes avaient amélioré leur motivation scolaire et avaient augmenté leur investissement et leur assiduité à l’école (50%) après leur séjour.
De plus, appartenir à un groupe de pairs pendant l’adolescence favorise une amélioration naturelle et durable des comportements sociaux inadaptés, car l’influence des autres jeunes à cette période est décisive. Ainsi, lorsqu’un membre adopte une attitude contre-productive, le groupe entier reflète ses conduites, l’encourage à adopter des comportements plus constructifs, entraînant des ajustements chez l’ado concerné.e.
Enfin, le voyage expose les adolescents.es à de nouvelles opportunités d’élargir leur cercle social habituel. Souvent limités.es dans leurs interactions avec des personnes d’horizons différents en raison de leurs contraintes financières ou géographiques, le voyage permet aux ados venant de milieux précaires de se libérer des barrières de leur quotidien et de redéfinir leur identité sociale. Les adolescents.es sont également amenés.es à devenir plus tolérants.es et ouverts.es à la différence, ce qui renforce leur capacité à interagir pacifiquement avec les autres.
Selon Vickie Bois : « Une telle expérience transformatrice propose des occasions inestimables pour développer des relations amicales saines et significatives dans un cadre sécurisant.
Le soutien des éducateurs favorise l’amélioration de leurs capacités à exprimer leurs émotions et à valider celles des autres, compétences cruciales pour la vie adulte. Le vécu durant le voyage leur permet également de rebâtir leur estime de soi souvent fragilisé par leur parcours plus difficile et de retrouver un espoir face à leur avenir. »